dimanche 25 mars 2018

Les aventures de la famille Troche - Partie II : de passage à Dieppe

Dans le premier chapitre de l'histoire de la famille Troche, nous avions réussi à retrouver les vrais grands-parents paternels de Juliette Troche, mon ancêtre normande au nom bourguignon, notamment grâce aux anciennes cartes. S'ouvre ainsi un nouveau chapitre qui nous plongera dans le vieux port de Dieppe, peu de temps avant la Révolution, à la recherche des ancêtres Troche. Ce sera notamment l'occasion de découvrir les anciennes rues et les fortifications de la ville.

Chers lecteurs, j'espère que vous allez bien. Il y a deux semaines, les actes de décès de Charles Antoine Troche et de son épouse Marie Angélique Leroy étaient enfin retrouvés dans les archives d'un petit village du pays de Caux et livraient de nombreuses informations qui m'ont conduit jusqu'à Dieppe, ce port à l'allure paisible mais à l'histoire mouvementée. Avant d'embarquer pour Dieppe, je décide tout de même de jeter un coup d'oeil à l'acte de mariage du couple Troche - Leroy, dont la date et le lieu m'étaient connus grâce aux actes de décès.

Extrait de l'acte de mariage TROCHE - LEROY - août 1785 - La Gaillarde - Archives en ligne de la Seine Maritime
Les éléments confirment ce dont j'avais déjà connaissance : Charles Antoine Troche est bien le fils de Jean Nicolas Troche et d'Anne Leprince, de la paroisse Saint-Rémy de Dieppe. Préférant me concentrer sur les ancêtres Troche et laisser de côté, pour le moment, la famille Leroy, je pars à la recherche de l'acte de baptême de mon ancêtre que je retrouve facilement grâce aux tables alphabétiques paroissiales, de véritables petites merveilles quand elles existent pour les recherches au XVIIIe siècle.

Extrait de la table alphabétique de l'année 1759 - Paroisse Saint-Rémy - Dieppe - Archives en ligne de la Seine Maritime
L'utilité de cette table ne se résume pas au gain de temps qu'elle procure mais aussi aux indications démographiques qu'elle contient. Elle nous apprend ainsi qu'il y a eu, pour l'année 1759, cinq cent quatre-vingt-une naissances à Dieppe et que la paroisse Saint-Jacques était certainement la plus peuplée. A Saint-Rémy même, il y a eu un peu moins de cent quatre-vingts naissance, quarante-cinq mariages et plus de deux cent cinquante décès. La mortalité y est apparemment élevée, peut-être à cause d'une épidémie ou de malnutrition favorisées par une éventuelle insalubrité des lieux. La France n'a jamais été très réputée pour sa propreté. Il serait intéressant d'analyser l'évolution des populations de chacune des deux paroisses et d'en déduire l'impact démographiques des crises et des aléas, à l'instar du terrible hiver 1709 dont je vous ai parlé il y a peu de temps. Je vous invite à lire cet article si vous souhaitez mieux vous repérer dans l'ancien Dieppe et découvrir la petite histoire du vieux port.

Charles Antoine Troche est né le 9 décembre 1759, quelques mois après le terrible Raid sur le Havre au cours duquel le port a été bombardé deux jours d'affilée par la Royal Navy britannique, au beau milieu de la Guerre de Sept Ans. Ses parents sont bien Jean Nicolas Troche et Anne Leprince et l'année de naissance coïncide avec l'âge qui lui est donné au mariage de son fils en 1803. Je lui ai retrouvé une soeur, Marie Anne Julie et un frère, Jean Gabriel, respectivement de onze et huit ans ses ainés. Leurs actes de baptême m'ont permis d'avoir une meilleure connaissance de la famille Troche.  Jean Nicolas Troche aurait eu au moins deux frères nommés Antoine et Louis Charles. Je me suis alors intéressé à leur niveaux d'instructions.

Signatures de différents membres de la famille Troche entre 1748 et 1769 - Paroisse Saint-Rémy - Dieppe

Les signatures montrent que Jean Nicolas Troche, qui signe toujours Jean, savait écrire dès 1751. L'écriture de sa fille Marie Anne Julie est plus lisse et appliquée. Alors que pour celle d'Antoine Troche, en bas à droite, les difficultés de formation des lettres o et a, ainsi que l'absence de la barre du t de Troche témoignent d'une instruction moins poussée. L'autre frère, Louis Charles, ne sait pas écrire en 1748 mais signe d'une belle écriture en 1755. Une question se pose alors : au baptême de sa fille en 1748, Jean Nicolas Troche ne signe pas l'acte et il n'est pas précisé s'il savait alors écrire, mais en 1751, sa signature, en bas à gauche, est bien présente. Aurait-il appris à écrire entre 1748 et 1751 ? La réponse nous sera dévoilée au prochain chapitre. Et serait-ce la même chose pour Louis Charles Troche ? Anne Le Prince ne savait signer. Les autres signatures proviennent de l'acte de mariage de Marie Anne Julie Troche avec Adrien Fécamp en 1769.

Jean Nicolas Troche et Anne Le Prince ont apparemment eu plusieurs domiciles. Lors du mariage de Louis Charles Troche en 1755 ils habitent dans l'ancienne poissonnerie alors qu'entre 1769 et 1772 ils sont domiciliés dans la Grande rue, près de la Paroisse Saint-Rémy. En voulant savoir si cette ancienne poissonnerie n'appartenait tout simplement pas à la Grande rue, je me suis embarqué pour une enquête fort intéressante dans le vieux Dieppe.

Extrait de l'acte de mariage de Louis Charles Troche concernant Jean Nicolas Troche - 1755 - Saint-Rémy - Dieppe

Vue de face du port et des fortifications extraite d'une carte de Dieppe - XVIIe siècle - BNF (Gallica) - LIEN

Deux paroisses se partageaient l'ancien port : Saint-Jacques et Saint-Rémy. Mes ancêtres vécurent en majorité dans la seconde. Il y avait à l'origine une première église Saint-Rémy, près de l'actuel château, dont la construction, possiblement faite à partir de pierres romaines, est mentionnée dans deux chartes des années 1250. Elle tomba en ruines et il fut décidé d'en construire une autre du même nom en centre-ville, près de la place du Puits Salé. D'après les descriptions trouvées dans le premier volume de l'ouvrage de l'archéologue Jean Benoît Désiré Cochet intitulé Les Églises de l'arrondissement de Dieppe, en 1282, l'archevêque de Rouen, Guillaume de Flavacourt sépara en deux la ville de Dieppe à la demande de la population. La charte relative à cette division décrit le port comme un endroit très peuplé où vivaient une multitude de gens. Au XVIIIe siècle, la paroisse Saint-Rémy englobait les rues où vécurent mes ancêtres, c'est à dire la Grande rue et les rues adjacentes.
J'apprends alors un élément important : l'Ancienne Poissonnerie n'est pas un bâtiment mais une rue. Qui sait, le curé devait s'entraîner à faire de la métonymie... Ou il économisait son encre. Même en ayant connaissance de ces renseignements, une question perdure : où se situait la rue de la Poissonnerie, qui, si elle existe encore aujourd'hui, ne porte plus le même nom ? En 1791, le District de Dieppe se vit obligé de modifier les circonscriptions paroissiales et coupa littéralement en deux la ville. L'ouvrage précédemment cité offre une description détaillée de cette modification : "Alors on coupa la ville en deux portions au moyen d'une ligne presque droite qui, partant de la mer par la rue de l'Ancienne Poissonnerie, sortait de la Grande rue par la rue des Cordonniers [...]". Dieppe était fortifiée et il y avait sept portes dont cinq situées directement face à la mer. Trois de ces portes communiquaient directement avec la Grande rue.

Représentation des portes et sa légende, extraites d'une carte de Dieppe - XVIIe siècle - BNF (Gallica) - LIEN
Les vieilles cartes vont une nouvelle fois venir à ma rescousse. De toutes les portes qui correspondaient avec la Grande rue, la légende décorée de magnifiques représentations mythologiques et surmontée de Poséidon nous apprend que la porte L était celle de la Poissonnerie. La partie la plus proche de la rue devait correspondre à la rue de la Poissonnerie, devenue l'Ancienne Poissonnerie au XVIIIe siècle, tandis que la zone attenante à la Grande rue était probablement cette rue des Cordonniers mentionnée par Cochet. Il devait sans doute y avoir une importante poissonnerie où était acheminée et vendue la marchandise apportée quotidiennement par les bateaux, et qui a par la suite disparu, soit en raison du déclin économique du port, soit lors du bombardement de la ville par les armées anglaises en 1694 avec l'incendie des constructions en bois qui s'en est suivi. Ces recherches m'ont par ailleurs permis de répondre à une question qui me turlupinait quelque peu depuis l'article consacré aux trois mètres de neige tombés en une nuit à Dieppe en 1709. Je me suis demandé comment les quartiers portuaires avaient été reconstruits après le bombardement des années 1660. J'ignorais alors qu'il y en avait eu un nouveau en 1694. Les anciennes constructions en bois ont en fait été reconstruites avec des briques blanches. Des balcons en fer forgés par les ferronniers d'Arques-la-Bataille ornaient les demeures les plus riches.
 
Carte de Dieppe avec ajouts des noms des paroisses et de traits symbolisant les rues - XVIIe siècle - BNF (Gallica) - LIEN

Suite à ces recherches, j'ai enfin réussi à m'orienter dans les rues du vieux port. J'ai symbolisé certaines rues par des traits colorés. En turquoise, la rue de l'Epée, située entre la rue de la Morinière / de la Halle en vert foncé et la rue de la Poissonnerie / des Cordonniers en noir, devenue la rue Gustave Rouland ; en violet la Grande rue ; en rose la rue Saint-Jacques ; en jaune foncé le rue d'Ecosse ; en orange clair la rue de la Barre ; en orange rouge la rue Saint-Rémy ; en beige la rue de la Sygogne. La cercle jaune symbolise la place du Puits salé qui tire son nom de l'ancien puits d'eau saumâtre remplacé au XVIe siècle par une fontaine. En ce qui concerne les portes, seule celle dite des Tourelles (Porte de l'Ouest, lettre N sur la carte) et qui faisait office de prison existe encore aujourd'hui. Ces recherches peuvent paraître fastidieuses mais elles m'ont permis de découvrir de nombreux trésors cachés dans les recoins du vieux port : des pirates, des habitations troglodytes, l'ancienne pharmacie où vécut Voltaire au retour de son exil et bien d'autres curiosités encore !

Dessin de Dieppe - Louis-Valentin-Emile de la Tremblais - XVIII-début XIXe - BNF (Gallica) - LIEN

La porte des Tourelles / de l'Ouest est visible sur ce dessin, en contrebas du château qui était jusqu'en 1789 le siège de la gouvernance royale. D'après le site de la ville de Dieppe, le donjon et les fortifications de la ville datent des années 1360. A cette époque, le port et ses habitants étaient menacés par les Anglais et leurs alliés Flamands. Par la suite, la tour Saint-Rémy, seul vestige de la première paroisse du même nom dont je vous ai parlé plus tôt, a été intégrée dans l'enceinte du château.


 
Dieppe, la tour Saint-Rémy du château - Henri Le Secq - 1851/1860 - BNF (Gallica) - LIEN
 
Mes ancêtres Jean Nicolas Troche et Anne Leprince s'installèrent à Dieppe en 1748. Je n'ai retrouvé aucune trace antérieure de leur présence. Jean Nicolas Troche est décédé au cours de l'été 1772, âgé d'à peine quarante-huit ans. Anne Leprince est toujours domiciliée à Dieppe lors du mariage de son fils Charles Antoine en 1785. De ce que je sais, elle disparaît des registres au moment de la Révolution et son destin m'est inconnu. Les membres de la famille Troche semblent avoir eu pour habitude d'effectuer deux professions radicalement différentes : ils étaient perruquiers et travaillaient en même temps à la manufacture de tabac. Ce schéma s'est retrouvé jusque dans les années 1840 et uniquement dans cette famille en ce qui concerne l'ascendance de mon arrière-arrière-arrière-arrière grand-mère Juliette Troche. Les manufactures ne m'intéressant pas tellement, et le tabac non plus, je vous laisse découvrir un article complet qui parle de celle de Dieppe, consultable à ce lien, sur le site geneacaux.
Je suis davantage inspiré pour écrire un article sur les perruquiers / barbiers au XVIIIe siècle, ce que je ferais éventuellement dans un prochain article. Lors du troisième chapitre des aventures de la famille Troche, qui sera publié entre le 15 avril et le 30 mai, nous quitterons un temps Dieppe à la recherche des ancêtres de Jean-Nicolas Troche et d'Anne Le Prince, avant d'y revenir pour retrouver leurs descendants. J'ai pensé qu'il était judicieux de rappeler le lien de parenté entre mes ancêtres Jean Nicolas Troche, Anne Leprince et moi.

Lien de parenté entre Jean-Nicolas Troche, Anne Leprince et moi - Archives personnelles
Avant de terminer cet article, je vous propose de découvrir, comme d'habitude, l'un de ces petits trésors dont  regorge la BNF.

Le Passe-temps publie Sans-Peur le corsaire, roman maritime par G. De La Landelle - BNF (Gallica) - LIEN

Retrouvez le premier chapitre des aventures de la famille Troche ICI et l'article consacré au terrible hiver 1709 à Dieppe par là.

A très vite !



N.B.:
-Les documents illustrant cet article appartiennent tous au domaine public et proviennent de la BNF ;
-Il y a une possible erreur de ma part mais peu importante sur la carte avec ajout des traits symboliques : la fin du prolongement du trait jaune foncé symbolisant la rue d'Ecosse est un peu trop longue et aurait peut-être dû être prolongée vers le pont menant au Pollet. Entre la description proposée par Cochet datant du XIXe siècle et notre époque, quelques changements ont eu lieu et ont créé une certaine ambigüité : "[...] une ligne qui [...] passait par la rue des Maillots et coupait la rue d'Ecosse par la ruelle du Cours." Je n'ai pas retrouvé les emplacements actuels de la rue des Maillots et de la ruelle du Cours. 
-Certaines découvertes ou affirmations présentes dans cet article ont été rendues possibles par des éléments qui ne seront mentionnés qu'au prochain chapitre. En réalité, les recherches racontées dans cet article ne le sont pas de manière chronologique car l'ascendance d'Anne Leprince m'était déjà connue. Je n'ai cependant pas retrouvé son acte de mariage avec Jean Nicolas Troche. J'ai choisi d'adapter le récit de mes recherches pour qu'il facilite la rédaction d'un article qui se veut davantage géographique.
-J'ai une fois de plus retouché certains documents pour qu'ils illustrent au mieux les explications de l'article.
-Si vous vous êtes perdus dans la découverte des vieilles rues de Dieppe ou si au contraire vous les connaissez mieux que moi, que vous y vivez, n'hésitez pas à me contacter.
-Jean Nicolas Troche et sa femme Anne Leprince sont mes ancêtres à la neuvième génération.
-Mes ancêtres normands représentent 5 à 6 % de mon ascendance totale.
 -Si vous regardez bien la Vue de face du port et des fortifications, il est possible d'y apercevoir les cinq portes directement situées face à la mer et qui sont, en partant de la droite : la porte de l'Ouest / des Tourelles (N), repérable par ses deux tours ; la porte de la Halle (M) ; la porte de la Poissonnerie (L) ; la porte Salée (K) et la porte du Moulin (J). Divers éléments comme les églises Saint-Jacques et Saint-Rémy, le château ou encore le moulin permettent d'avoir un meilleur aperçu.
 


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