En
ce dimanche maussade et pluvieux, je me suis lancé dans une hasardeuse
exploration des recensements de la ville de Carcassonne. Je vous propose
de découvrir quelques singularités et anecdotes sur ses habitants en
1851. Carcassonne, connue mondialement pour sa cité médiévale, revient
plusieurs fois dans ma généalogie, et ce à différentes générations. Mes
parents et certains de mes ancêtres y ont vécu et je connais
relativement bien cette ville historique qui est la préfecture de
l'Aude.
Une partie de la Cité de Carcassonne - Photographie personnelle |
Ce
n'est pas tellement motivé par la découverte d'éventuels renseignements
sur mes ancêtres que j'ai feuilleté les centaines de pages des deux
recensements de 1851, mais plutôt pour développer un projet généalogique
collectif qui m'est venu à l'esprit lorsque j'ai découvert que l'une de
mes ancêtres était aveugle. Il faudrait que je vous raconte cette
histoire un jour d'ailleurs. Les recensements de l'année 1851 s'avèrent,
du moins suite aux constatations que j'ai faites de mes propres
recherches, riches en remarques, détails et anecdotes divers et variés,
de sorte que j'en suis venu à me demander pourquoi nous, généalogistes
amateurs, ne les consignerions pas pour créer des bases de données qui
pourraient éventuellement permettre à chacun de découvrir un détail
insoupçonné sur ses ancêtres. Il s'agit d'un projet titanesque,
impossible à réaliser seul. J'ai en conséquence décidé de me consacrer
aux communes qui reviennent fréquemment dans ma famille.
Un projet d'entraide généalogique collectif et participatif
Je
ne sais pas si des projets de ce type, concernant les renseignements
anecdotiques et surtout facultatifs des recensements de population,
existent déjà. L'idée me paraît intéressante et motivante sur le long
terme. Et j'espère sincèrement que lorsque ce journal aura une portée
plus étendue dans la sphère généalogique, le projet intéressa les
généalogistes amateurs blogueurs. Lors de mes recherches, et je pense
que c'est également le cas de la plupart d'entre-vous, j'ai feuilleté
laborieusement des centaines et des centaines de pages de recensements
du XIXe siècle principalement, à la recherche d'éléments nouveaux.
Souvent, les informations livrées ne m'ont pas apporté grande
satisfaction car je les connaissais déjà. Parfois, certains ancêtres
étaient atteints d'infirmités ou de maladies graves, vivaient loin et
séparés de leur famille ou étaient nés à l'étranger, de parents
inconnus, ect. Ces éléments sont d'une grande importance pour
l'enrichissement d'un arbre généalogique et permettent également de
trouver l'inspiration pour un article.
Mon
premier objectif est de lister les découvertes faites dans le
dénombrement de 1851 de Carcassonne et d'accompagner d'informations
complémentaires tirées de l'état-civil les quelques éléments relevés.
Les relevés seront disponibles sur une page qui leur sera entièrement
dédiée et je vous tiendrai au courant des nouveautés. Le premier relevé
concerne cent pages du dénombrement (Lisses hautes, Rue Saint-Michel, Mairie, Rue du 24 février et Rue Napoléon en partie) et sera d'ici peux détaillé sur la page puis complété par la suite.
Première page du recensement de 1851 - 102NUM/6M83/1 - Archives en ligne de l'Aude |
Les premiers résultats : des infirmités et des servantes sans nom
Les
infirmités représentent les anecdotes les plus régulièrement
mentionnées. Les conditions de vie n'était autrefois pas très bonnes et
il n'était pas rare que nos ancêtres gardent des séquelles physiques des
maladies dont ils étaient victimes. Le terme boiteux revient si souvent
que j'ai décidé de ne plus le recenser dès la quarante-sixième page.
Cependant, certains individus ont eu davantage de malchance encore et
ont été affectés par d'étranges maux. D'autres n'avaient même pas de nom
ou de prénom.
Antoinette GAZEL
Domiciliée
au 48 rue Saint-Michel, Antoinette Gazel est à priori une vielle dame
comme on en trouve si souvent dans nos recherches : mère de famille,
grand-mère, sans profession particulière. Et pourtant, cette dame n'a
pas été bien chanceuse et a été atteinte d'idiotisme dans les dernières
années de sa vie. Antoinette vivait avec son mari, Jean Montahuc, ancien
plâtrier, leur fille Appolonie, 30 ans et veuve Bons, et les deux
enfants récemment nés de cette dernière, Antoinette et Bernard Bons. La
famille vivait apparemment du revenu de Jean Montahuc.
Trentième page du recensement de 1851 - 102NUM/6M83/1 - Archives en ligne de l'Aude |
Le
terme idiotisme n'est pas forcément simple à définir. Il pourrait faire
référence à un retard mental présent depuis la naissance tout comme à
des troubles apparus avec la vieillesse. Bien qu'âgée d'environ soixante
dix ans, Antoinette Gazel aurait probablement pu être atteinte de
sénilité ou de pertes de mémoire. Je ne pense pas que nous puissions en
savoir davantage à partir de simples suppositions, à moins qu'il y ait
eu une définition précise du terme "idiotisme" dans les années 1850, ce
que je n'ai pas pris la peine de chercher. J'ai par contre retrouvé son
acte de décès. Quelque temps après le recensement, plus exactement le 14
septembre 1852, Antoinette Gazel décède à son domicile selon les
déclarations faites par son fils le lendemain. Son mari avait alors
repris son ancienne activité de plâtrier. Elle était certes âgée mais
pas si vieille que cela. Sa maladie s'était-elle empirée ?
Extrait de l'acte de décès d'Antoinette GAZEL en date du 15 septembre 1852 - Carcassonne - Archives en ligne de l'Aude |
Transcription : "[...] lesquels
nous ont déclaré que Antoinette Gazel, sans profession, âgée de
soixante et onze ans, épouse de Jean Montahuc, plâtrier, fille de défunt
Jean Gazel, brassier, et de Antoinette Vivier, son épouse, sans
profession, née et domiciliée dans cette commune, y est décédée hier à
six heures et demie du soir, rue Saint-Michel, numéro quarante-huit."
La
famille vivait ainsi toujours au 48 rue Saint-Michel. Je me suis
demandé si cette rue existait toujours dans l'actuel centre-ville de
Carcassonne. Affirmatif, mais sous un autre nom ! De nos jours, la rue
nommée Saint-Michel, moderne, n'est pas située dans le centre-ville et
n'est certainement pas le lieu où Antoinette Gazel vécut à la fin de sa
vie. Je savais que la rue en question était proche de la rue de la
Mairie car elles se suivent dans le recensement. Saint-Michel, c'est
avant tout la cathédrale construite sur ordre de Saint Louis au XIIIe
siècle. Endommagé comme toute la ville par le Prince Noir et sa terrible
armée, l'édifice connaît un nouveau sinistre en novembre 1849 lors de
travaux.
Coupe du Plan de la ville de Carcassonne par E. Roudière - 1893 - Provient du site de la BNF (Gallica) - LIEN |
Revenons-en
à mes recherches : après avoir eu confirmation par ma mère
qui a vécu à Carcassonne que l'on nomme parfois encore "quartier
Saint-Michel" les rues situées près de la cathédrale et au vu de la
proximité avec la rue de la Mairie, j'en ai déduit que les Montahuc
vivaient dans l'actuelle rue Voltaire. Il s'agit pour moi d'une
certitude. La rue Saint-Michel et la rue Voltaire sont un seul et même
endroit. Mais en recherches généalogiques et historiques, il est
judicieux de consolider nos hypothèses en croisant les informations
connues avec d'autres renseignements provenant de nouvelles sources.
Coupe du Plan de la ville de Carcassonne par Combeléran-Soulet - XIXe siècle - Provient du site de la BNF (Gallica) LIEN |
Ce
plan, datant également du XIXe siècle, est probablement antérieur au
premier qui lui a été réalisé en 1893. Et surprise : la rue Saint-Michel
est bien là, à l'emplacement exact de l'actuelle rue Voltaire ! Mon
intuition était bonne. J'ai symbolisé en rouge la rue Saint-Michel / Voltaire et en bleu la rue de la Mairie.
Toutes deux sont situées près de la cathédrale et de la porte des
Jacobins. Cette imposante porte remplace d'ailleurs depuis le XVIIIe
siècle, si je ne m'abuse, l'ancienne porte Saint-Louis. Est-ce en
rapport avec la construction de la cathédrale Saint-Michel ordonnée par
ce même roi ? La rue Saint-Michel est ancienne et certains de ses
bâtiments dateraient du XIIe siècle. Je vous invite à lire un article de la Dépêche à propos de l'ancienneté de cette rue et des découvertes récentes qui y ont été faites lors de travaux.
Revenons
à Antoinette Gazel sans qui je n'aurais jamais pu mener cette recherche
passionnante dans le vieux Carcassonne. J'ai appris en vérifiant le
registre lors de la rédaction même de cet article que son mari, Jean
Montahuc, est lui aussi décédé en 1852.
Acte de décès de Jean MONTAHUC, en date du 20 octobre 1852 - Carcassonne - Archives en ligne de l'Aude |
Transcription : "L'an
mil-huit-cent-cinquante-deux et le vingt octobre à dix heures du matin,
par devant nous Louis Edouard Bosc, Maire officier de l'état civil de
la ville de Carcassonne, département de l'Aude, chevalier de Légion
d'honneur, ont comparu les sieurs Marc Montahuc, plâtrier, âgé de
quarante-quatre ans, fils du défunt bas nommé, et Joseph Bac, carillonneur, âgé de soixante-quatre ans, voisin, domiciliés dans cette commune,
lesquels nous ont déclaré que Jean Montahuc, ancien plâtrier, âgé de
soixante-douze ans, veuf de Antoinette Gazel, sans profession, fils de
défunts Bernard Montahuc, tisserand, et de Marie Cazajou, son épouse,
sans profession, né et domicilié dans cette commune, y est décédé hier à
quatre heures et demie du soir, rue Saint-Michel, numéro quarante-huit.
De quoi avons dressé acte, que nous avons signé, après lecture faite,
avec l'un des déclarants, l'autre ayant dit ne savoir."
Si
j'ai pris la peine de transcrire la totalité de cet acte, c'est avant
tout pour mettre en avant l'un des témoins, Joseph Bac, qui n'est autre
qu'un voisin de Jean Montahuc. Sa famille a également retenu mon
attention dans le recensement de 1851. Par ailleurs, Joseph, qui était
carillonneur à l'automne 1852, devait a fortiori, vu qu'il vivait lui
aussi dans la rue Saint-Michel, travailler à la cathédrale du même nom
où il était chargé de faire sonner les cloches. Ci-dessous une jolie
photographie de carillonneurs datée de 1924, trouvée en furetant dans
les recoins de Gallica.
|
Jean BAC
Joseph
Bac et son épouse Anne Gairaud vivaient au 42 rue Saint-Michel avec
trois de leurs enfants, Jean, Laurent, Marguerite, et le fils de cette
dernière, Pierre Carbou. Au moment du recensement, en 1851, Joseph n'est
pas carillonneur mais tisserand. Son activité n'est apparemment pas
très stable puisqu'il change littéralement de profession en moins d'une
année. Il s'agit cependant d'un fait relativement commun, notamment dans
la première moitié du XIXe siècle. Souvenez-vous de mon ancêtre Marie-Angélique Leroy, qui après avoir été marchande perruquière pendant des décennies est devenue baleineuse à soixante-dix ans passés !
Hormis
ce changement de profession et l'absence de l'époux de Marguerite, rien
ne semble inhabituel dans la situation de la famille. Et pourtant, à
vingt-trois ans à peine, Jean Bac, le fils de Joseph et d'Anne, souffre
d'une infirmité aux deux jambes. Il réussit cependant à travailler avec
son père puisqu'il est lui aussi tisserand. Je me suis interrogé sur
l'avenir de ce jeune homme. Pouvait-il travailler seul et sans
assistance ? Comment se déplaçait-il ? Ses problèmes de santé se
sont-ils aggravés avec le temps ? Souhaitant poursuivre mon étude des
recensements carcassonnais, je pars à la recherche de la famille Bac au
cours de la seconde moitié du XIXe siècle, et même plus ! Je n'ai
malheureusement pu consulter que les registres de 1901 et 1906...
Cinquante
ans sont passés entre le recensement d'origine et le suivant. Quelques
changements pour la rue qui a été rebaptisée Voltaire. Le numéro n'est
pas tout à fait identique non plus mais je ne pense pas qu'il y ait eu de
déménagement de la famille Bac. En parlant d'eux, justement, quelle
surprise de constater que le seul dont on retrouve la trace est Jean,
dont les problèmes de jambes ne sont même plus mentionnés ! Toutefois,
aucune profession ne lui est connue, et pour cause : en 1901, il avait
dépassé les soixante-dix ans. Quelle surprise quelque peu fortuite de
retrouver, un demi-siècle plus tard, la trace d'un individu quasiment au même endroit ! Quant au
reste de la famille Bac, que sont-ils devenus ? Jean et Antoinette
ont-ils eu des enfants ?
Extrait de l'acte de mariage de Jean BAC en date du 16 septembre 1863 - Carcassonne - Archives en ligne de l'Aude |
L'acte
de mariage de Jean Bac nous apprend qu'il a exercé la profession de
menuisier. Son infirmité ne devait donc pas être si sévère que ça. En
1865, il exerce la même profession que son père quinze ans plus tôt :
carillonneur, sans doute à l'église Saint-Michel. Il était donc capable
de monter et descendre quotidiennement les escaliers en colimaçon pour
accéder aux cloches. Jean et Antoinette auront deux fils : Jean-Louis,
que l'on retrouve à Marseille, rue Paradis, dans les années 1890, et
Joseph Justin, qui meurt peu de temps après sa naissance. Le 31 décembre
1868, Jean Bac est menuisier, le 22 octobre 1869, carillonneur. Ainsi,
non seulement Jean pouvait se déplacer, mais il alternait même deux
boulots différents !
La
démarche que j'ai menée dans cet article présente trois manières
d'utiliser les listes nominatives de recensement mais aussi comment se
servir des plans, cartes et autres sources disponibles sur Gallica :
- montrer qu'à partir d'un individu pris au hasard dans un recensement, il est possible de reconstituer en partie l'histoire d'une famille et d'une rue ;
- mettre en lien les habitants avec leur lieu de vie : par exemple, les hommes de la famille Bac qui étaient carillonneurs ;
- analyser les données anecdotiques recueillies pour en apprendre davantage et séparer le vrai du faux : lors de ma première lecture, je croyais l'infirmité aux jambes de Jean Bac suffisamment importante pour l'empêcher de travailler. Or, divers actes m'ont appris qu'au contraire, il exerçait deux professions différentes.
Si la petite histoire des villes françaises vous intéresse, je vous invite à lire mon précédent article : Une neige "extraordinaire" recouvre Dieppe ! ou, si vous préférez les reconstitutions d'ascendances, le premier épisode des aventures de la famille Troche au pays de Caux, dont la suite sera publiée, je l'espère, dans les deux prochaines semaines. Enfin, ma présentation est consultable ICI.
Les
recherches réalisées dans les premières page du dénombrement de 1851
m'ont fait connaître d'autres histoires, toutes aussi intéressantes les
unes que les autres. En parallèle de la rédaction d'un nouvel article et
de la préparation du second épisode des aventures de la famille Troche,
je travaille à la création et à l'enrichissement de la page consacrée
au projet de recensement dont je vous ai parlé au début de cet article.
Avec un peu de chance, tout devrait être disponible pour le début
d'avril.
Pour conclure, je vous propose de découvrir un véritable trésor trouvé sur Gallica.
Dessin représentant Carcassonne en 1462 - Auteur inconnu - Provient du site de la BNF (Gallica) - LIEN |
Je vous remercie pour votre lecture et vous souhaite une très bonne journée !
N.B. :
-Les
références des documents utilisés dans cet article sont indiquées ainsi
que les liens qui mènent aux sites m'ayant permis de les retrouver. Je
remercie particulièrement le magnifique travail de la BNF et vous
recommande son site Gallica. Les documents que j'ai utilisés
appartiennent au domaine public.
-Certaines
parties de mon ascendance maternelle m'ont mené à Carcassonne au XIXe
siècle principalement : je pense aux recherches sur les familles Vassal,
Connac et Aguado.
-Les
individus pris au hasard dans le recensement de 1851 n'ont à priori
pas de liens de parenté avec mes propres ancêtres quoique la généalogie
réserve parfois de drôles de surprises.
-Je
ne suis pas expert de l'urbanisme carcassonnais mais je suis certain
que la rue Saint-Michel et la rue Voltaire sont un seul et même endroit.
-Joseph
et Jean Bac ont tous deux été carillonneurs et vivaient dans la rue
Saint-Michel. Il me paraît donc logique et fortement probable qu'ils
aient fait sonner les cloches de la cathédrale Saint-Michel.
-Comme pour l'article précédent sur Dieppe, je me suis permis de recadrer certains plans. Je leur ai également ajouté quelques modifications qui font office de repères en lien avec les explications de mon article.
-Comme pour l'article précédent sur Dieppe, je me suis permis de recadrer certains plans. Je leur ai également ajouté quelques modifications qui font office de repères en lien avec les explications de mon article.
-Pour plus d'informations sur le projet de recensement des anecdotes, je vous invite à me contacter.
Très bel article , continue
RépondreSupprimerMerci !
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